Grand entretien pour Livre et lecture en Bretagne

Photo : Stéphane Batigne

[TRACER L’AVENIR] GRAND ENTRETIEN #1

Dans la continuité des témoignages recueillis pendant le confinement et depuis la reprise d’activités, Livre et lecture en Bretagne souhaite donner la parole à des professionnels du secteur du livre pour « Tracer l’avenir », exprimer leurs aspirations pour la filière en Bretagne. Début de cette série de rencontres avec un auteur, premier maillon de la chaîne du livre : Benoît Broyart.

Comment vivez-vous la crise sanitaire actuelle ?

Ce qu’on pensait temporaire, ce qu’on croyait être un moment de crise… s’étire sans qu’on puisse en deviner le terme. Après le moment de sidération, le confinement, nous devons toutes et tous vivre avec ce virus, et le plus compliqué semble être, dans cette situation, de préserver la convivialité, les actions collectives, quand tout nous pousse à nous replier sur nous-mêmes. Dans ce domaine, le discours anxiogène ambiant n’arrange pas les choses. Impossible de nier la réalité de la pandémie. Pour autant, j’aimerais que le gouvernement explique, fasse appel à l’intelligence de chacune et chacun, plutôt que de s’entêter dans une politique de répression, d’interdit, de punition. La remise en question de certaines de nos libertés me pèse beaucoup, et la stigmatisation d’une partie de la population, notamment des jeunes, me met en colère quotidiennement.

Comment impacte-t-elle votre activité de professionnel du livre ?

En tant qu’auteur, c’est bien entendu la partie médiation qui a été très impactée et qui continue à l’être. Les salons ont été annulés. Et l’annonce de nouvelles annulations est quotidienne. Pour organiser des manifestations publiques, les contraintes sanitaires sont importantes. Cela décourage beaucoup de bonnes volontés.

Lors des manifestations littéraires, des bénévoles sont généralement mobilisés venant en renfort des professionnels du livre. Parmi ces derniers, les retraités sont nombreux. Les personnes de plus de 65 ans ayant été identifiées comme les plus vulnérables, elles ne se sont pas forcément déconfinées. En tout cas, elles hésitent à reprendre le chemin de leurs engagements dans le milieu culturel et on les comprend. Le secteur associatif devrait beaucoup souffrir de l’absence de nos aînés. Au niveau des échanges entre les générations, cela risque d’être dramatique également.

N’oublions pas que nous sommes avant tout des auteurs et non des animateurs d’ateliers, des médiateurs du livre. Pour cette partie de notre activité, qu’il me semble logique de considérer comme la plus importante, la situation est redevenue à peu près normale. Quelques contrats repoussés, des sorties aussi, et une frilosité généralisée qui amène certains éditeurs à rester sur les valeurs sûres…

Le gouvernement a mis en place des aides et ces dernières ont été les bienvenues pour nous aider à passer cette période difficile. Les auteurs sont éligibles au fonds de solidarité jusque décembre 2020 normalement et le fonctionnement de ce fonds est simple. Des aides ont été prévues aussi par la région Bretagne ; nous vivons sur une terre où la culture est une priorité.

Dans ce contexte, constatez-vous des dysfonctionnements de la chaîne du livre ? A l’échelle nationale, régionale, locale ?

Mise à part une frilosité généralisée compréhensible et les dysfonctionnements normaux de l’après-confinement, la chaîne du livre a redémarré… Et c’est peut-être là le problème. Elle a redémarré comme si rien ne s’était passé.

Quelques éditeurs ont différé des parutions pour ne pas « encombrer » la « machine » au redémarrage, mais les belles déclarations des grands maisons qui pensaient proposer une rentrée littéraire plus « light » par exemple, afin de laisser une chance aux livres parus au printemps (et confinés) d’avoir une vraie vie, sont restées lettres mortes. 511 romans ont paru au lieu de 524 en 2019.

Quelles transformations du secteur peuvent selon vous émerger de cette crise ?

Difficile à dire… Une prise de conscience globale sur ce que dit cette crise de notre façon de vivre, de cette société du « consommer toujours plus », de la place de l’être humain sur la planète.

Si cette dimension pouvait influencer le secteur du livre, ce serait vraiment intéressant. Publier moins mais mieux. Offrir aux livres des durées de vie plus longues.

Quelles mesures sont selon vous nécessaires pour dessiner un nouveau modèle vertueux pour la chaîne du livre ? A l’échelle nationale, régionale, locale ?

En librairie, le système de l’office et des retours a vécu. Aujourd’hui par exemple (il y a dix ans ce n’était pas le cas), la période de trois mois durant lesquels les libraires sont obligés de garder le livre en stock n’est plus respectée. Certains livres ont à peine le temps de sortir des cartons… qu’on les retourne.

Ce système est devenu un prétexte à ce que le plus de livres possibles circulent, à l’aller comme au retour, engraissant ainsi les comptes des grosses structures de diffusion-distibution, asséchant la trésorerie des libraires et poussant éditeurs (et auteurs par conséquence) à la surproduction.

Certains libraires ont déjà remis en question ce système, notamment les librairies indépendantes qui proposent de vrais choix avec un assortiment restreint.

Imaginer d’autres modes de distribution peut être une piste. Créer des coopératives de diffusion-distribution hors des logiques capitalistes, mutualiser des moyens (stockage, transport) permettrait sans doute à des structures éditoriales de taille modeste d’atteindre les librairies, au niveau local comme au niveau régional ou national.

Par rapport aux auteurs, il serait bon que le Rapport Racine ne reste pas dans les placards. Ce dernier a pointé de nombreux problèmes et proposé des améliorations concernant le statut des autrices et auteurs. Le développement important de la Ligue des auteurs professionnels et le travail d’associations plus anciennes telles que la Charte ou le SNAC BD pourraient être le signe de la naissance d’une vraie puissance collective. A suivre de près…

Plusieurs propositions apparaissent dans le débat public (lutte contre la surproduction, nouvelles pratiques de livraison, tarifs postaux préférentiels, remise minimale pour tous les libraires, service public de distribution de livre, politique de commande publique ambitieuse…) : qu’en pensez-vous ?

Ces propositions, mesures, prouvent que notre chaîne du livre est loin d’être vertueuse. Les petits éditeurs auto-distribués ont des difficultés à se faire une place chez des libraires qui sont envahis par les livraisons des grosses structures et les nouveautés. Une remise minimale pour les libraires semble difficile à mettre en place, compte tenu de tous les acteurs de la chaîne en présence. Où rogner quelques points de marge ? Une piste sans doute réside dans les fameux 5 % accordés aux clients qui ne profitent qu’aux grandes surfaces culturelles et surtout dans les 9 % accordés aux collectivités. Militons rapidement pour un véritable prix unique du livre !

Des tarifs postaux préférentiels seraient un grand progrès, notamment pour les éditeurs à taille modeste. Cette mesure est réclamée depuis des années, sans succès. Cela coûte plus cher pour un éditeur français d’envoyer un livre en France que dans le reste de l’Europe par exemple. Ce n’est pas très logique.

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