Il était venu frapper à ma porte sans visage, ou plutôt avec ses centaines de visages possibles, souhaitables ou peu recommandables. Je n’avais pris aucune précaution et je l’avais laissé entrer chez moi, sans mesurer ce qui tenait en lui de mon passé, sans le reconnaître vraiment.
Je l’avais sans doute déjà observé, scruté, croisé au moins ; et il s’était imprimé en moi comme tant d’autres. En tout cas, nous avions été en contact, c’était une certitude. Depuis, après qu’il ait rejoint le grand réservoir au fond de mon œil où ils s’entassent toutes et tous, je l’avais digéré.
Impossible d’en être certain mais il était probable qu’il s’agisse donc d’un retour, de son retour parmi moi. Peut-être aurais-je dû être plus méfiant. Mais ce n’est pas dans ma nature. J’ouvre les bras dès que l’occasion se présente, prêt à nouer des relations avec le premier venu. Ou plutôt, disons que j’apprécie de me faire envahir. Je me sens moins seul.
Une fois dans mon vestibule, il s’était effacé brutalement. Quelques secondes avaient suffi. Soudain, il n’était plus qu’une ombre, une enveloppe vide, un souffle. En tout cas il était devenu volatil presque, aussi fragile que du papier à cigarette. Il fallait agir avec précaution. Il aurait pu se déchirer à la moindre brusquerie. En quelques secondes, il était redevenu un inconnu et se tenait loin de tous mes souvenirs. Un parfait inconnu.
J’avais passé alors un temps infini à sculpter ses contours, à lui redonner de l’épaisseur, à m’occuper de l’intérieur de son corps aussi, os, cœur et boyaux, muscles, cerveau. Je lui avais trouvé des amitiés, des amours. J’avais écrit l’histoire de sa famille, l’ennui profond durant ses années de lycée, tout ce temps qu’il avait passé à chercher un travail ensuite, ayant raté son bac, ses longues errances dans les rues, la nuit, à moitié saoul, désespéré de n’être rien ou si peu. Je lui avais cousu d’office un passé assez lourd. Je m’étais glissé dans son présent. Ensemble, nous aurions pu prendre le temps nécessaire et lui trouver un futur à sa mesure. J’étais prêt à en débattre avec lui, à voir ce qui lui aurait convenu, à faire des concessions.
Mais après tous mes efforts, des mois de travail pour le façonner, il était finalement reparti, comme si rien ne s’était passé entre nous, sans un remerciement. Ma proposition ne lui avait pas convenu. J’avais échoué.
Benoît BROYART, 17 juin 2020
Voilà une nouvelle qui intrigue véritablement, qu’il faut relire pour comprendre ce qui est en jeu. Une nouvelle sur …l’inspiration? ou du moins sur ces personnages qui nous habitent un moment, peuvent prendre corps en nous et puis disparaitre, comme ils sont arrivés, inopinément? ou alors une allégorie heu ….du Covid? 😉
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J’ai voulu en quelques lignes évoquer ce qu’est pour moi la création d’un personnage. On peut y voir autre chose, bien sûr. J’aime laisser de l’espace pour les lectrices et lecteurs dans mes textes. Salutations
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