Qu’est-ce qui fait l’espace littéraire ? De quoi est-il constitué, bordé ? Quel est le rapport qu’il entretient avec le réel ? C’est une question que je me pose souvent, en tant que lecteur d’abord. En tant qu’auteur, forcément, aussi. J’ai deux souvenirs de lectures très récents et très différents : le poignant My absolute Darling de Gabriel Tallent et l’hallucinant Jérôme de Jean-Pierre Martinet. Dans les deux cas c’est l’évidence. Nous sommes en plein milieu de cet espace et difficile apparemment de savoir à quoi ça tient. À moins que… Il faut d’abord une voix, quelqu’un qui vous parle, qui s’adresse d’ailleurs à vous seul, le plus souvent. Les mots inscrits dans ces livres ne changent pas et pourtant, ces romans sont tellement forts qu’ils possèdent une capacité d’adaptation inouïe. Une voix qui varierait donc, s’adaptant chaque fois comme par miracle à ses lectrices et lecteurs. Le premier test pour moi quand je lis afin de savoir si on est bien là, dans l’espace littéraire, celui qui m’est nécessaire, voire vital. Combien de fois suis-je tombé sur des livres qui me sont tombés des mains justement ? Comme si la voix qui tentait de percer était atone, sans relief, transparente. Comme s’il n’y avait personne derrière pour vous raconter l’histoire. Je reste en rade. Je referme et je passe à autre chose. L’une des premières voix à m’avoir fait un effet bœuf est celle d’Albert Camus, notamment dans l’Étranger. Je l’ai relu près de dix fois depuis l’adolescence et chaque fois, le narrateur me parle autrement. C’est miraculeux. Bien entendu, avec le temps, c’est moi qui change… mais ce livre est fabuleux parce qu’il sait où me trouver, cela où que je sois. Et tout au long de ma vie de lecteur, Sylvie Germain, Luc Diétrich, Henri Thomas, André Hardellet, Pierre Autin-Grenier… plus récemment Cécile Coulon. C’est ce qui me touche le plus, la voix, ce qui cerne pour moi l’espace littéraire, permet de savoir que nous sommes dans cet endroit singulier dont on ne sortira pas indemne. Le réalisme en littérature ? Tentation vaine. La littérature, cette réalité augmentée.